CONSEIL DE LA MÉTROPOLE AIX-MARSEILLE-PROVENCE
Séance du Jeudi 19 Octobre 2017
Monsieur le Président,
Cher(e)s collègues,
Je voudrais livrer quelques éléments d’appréciation à l’ensemble de nos collègues sur ce projet dont les incidences débordent très largement un débat Marseillo-Marseillais.
En 2013 la communauté urbaine a adopté un Plan de Déplacements Urbains. L’année dernière nous avons voté un Agenda de la Mobilité Métropolitaine. Dans ces deux documents on retrouve l’objectif d’un report modal des modes de déplacements de la voiture vers les transports collectifs et les modes doux, d’au moins 8%.
C’est la raison pour laquelle, ni le PDU de MPM, ni l’Agenda Métropolitain n’ont retenu ce projet de bretelle souterraine routière entre le boulevard Schloesing et le péage du Tunnel Prado Carénage.
Alors d’où vient ce projet du tout voiture et pourquoi cet entêtement à le représenter aujourd’hui, alors que le montage juridique et financier n’a jamais été validé par les services de l’Union Européenne et qu’à la demande de l’Etat, il a été annulé par délibération de la métropole le 28 Avril 2016 ?
La réponse vous pouvez la lire dans la présentation du rapport d’activité de 2015 de la Société Marseillaise du Tunnel Prado Carénage par Gilbert SABY, Président du Conseil d’Administration – je cite :
« Après plusieurs années de retard, l’Etat a décidé de réaliser la rocade L2… On sait qu’une partie du trafic de transit sera détournée du centre-ville par cette autoroute de contournement de 10 Km libre de péage. Les effets de cette rocade sur notre perte de trafic seront sensibles…
Le projet de liaison souterraine entre le boulevard Schloesing qui dessert les quartiers sud de la ville et le tunnel Prado Carénage a franchi une étape décisive… l’avenant à notre contrat de concession est le plus important que nous ayons eu depuis la création de notre société en ceci qu’il prolongera la concession accordée à notre société. Même si il reste à obtenir l’accord de la commission européenne sur les modalités, j’ai bon espoir de la concrétisation de ce projet que nous portons depuis plus de cinq ans ».
Tout est dit ou presque ! Car il faudrait rajouter pour être plus complet la renégociation d’une clause secrète conclue entre le Président de la Communauté Urbaine en Février 2008 et les concessionnaires de l’autre Tunnel Prado Sud concernant un report programmé de la réalisation du Boulevard Urbain Sud prolongeant la L2 vers la Pointe Rouge.
Il suffit de se reporter à l’annexe 3 de l’avenant qu’on vous propose d’adopter, pour comprendre l’enjeu de ce nouveau tunnel Schloesing. En effet, le compte d’exploitation prévisionnel engrange sur la période de 7 ans et 11 mois d’allongement de concession, un total de bénéfices nets de 95,6 M€ pouvant être distribués aux actionnaires.
Donc, premier élément d’appréciation : ce n’est pas un projet du PDU MPM ou de l’Agenda de la Mobilité Métropolitaine, c’est un projet des concessionnaires pour accroitre la fréquentation automobile du péage et prolonger sa rentabilité pour les actionnaires jusqu’en 2033.
Deuxième élément d’appréciation sur cette délibération.
Le rapport d’aujourd’hui reprend les caractéristiques techniques du projet de tunnel de la précédente délibération annulée, mais introduit deux différences juridiques et financières importantes :
1°) La première justification du projet n’est plus la nécessité de réaménager le carrefour Place Ferrié pour pouvoir prolonger le tramway. Elle devient la nécessité :
- d’améliorer la sécurité du TPC en offrant une sortie libre vers Schloesing
- d’éliminer les congestions au péage du TPC pour fluidifier le dispositif de sécurité et de secours
- de créer un accès supplémentaire au TPC pour les pompiers
Vient ensuite le démontage des passerelles qui envahissent aujourd’hui le carrefour Ferrié et l’affirmation du besoin de ce tunnel pour un bon fonctionnement des échanges routiers avec le passage du tramway.
Or, toutes les études présentées par les services de la métropole concernant ce projet ne mentionnent pas une déviation de la circulation en surface sur le carrefour Ferrié supérieure à 30%, de ce qui passe actuellement en surface et par les passerelles.
S’il faut déniveler la circulation sur ce carrefour, d’autres solutions plus efficaces et nettement moins coûteuses peuvent exister entre Schloesing et le Jarret.
Je rappelle cependant que le tramway traverse par deux fois le boulevard Sakakini saturé, à Chave et à Vallier, sans dénivellation souterraine de la circulation.
On comprend pourquoi l’impératif technique du réaménagement de la place Ferrié est soudain rétrogradé dans l’ordre des priorités.
2° modification : L’allongement de la concession du TPC contre réalisation de cette bretelle n’est plus de 11 ans et 2 mois, mais 7 ans et 11 mois ! C’est à dire que pour les mêmes travaux, les mêmes sommes investies (99 M€) et en ayant perdu 2 années pour réaliser le projet, le délégataire amortit et rentabilise en moins de temps !
Quelle explication à cette diminution soudaine de 27 mois de concession ? Si ce n’est que le retour en rentabilité était peut être un peu trop gros pour le justifier auprès de l’Etat et de l’Europe ?
La raison de ces changements de justifications nous est exposée d’une manière juridique.
D’après la délibération, des jurisprudences en 2016 du conseil d’état et l’Europe sont interprétées par la métropole comme dérogatoires à la nécessité d’un appel d’offre, pour aller simplement à une modification par avenant du contrat de concession initial.
Les conditions dérogatoires seraient requises : Les travaux ne sont pas supérieurs à 50 % du montant des travaux du contrat initial du concessionnaire TPC ; On affirme qu’ils correspondent à un besoin impératif de répondre à l’accroissement du trafic et à sa sécurité ; On affirme également qu’il y a un lien trop étroit entre les équipements existants concernés (TPC et TPS).
Le rapport fait état d’une réunion en préfecture le 28 février 2017 sur le dossier, mais pour l’heure il ne nous communique pas le résultat des expertises juridiques, techniques et financières commandées par le Préfet auprès des services de l’Etat.
Idem concernant l’Europe puisque le rapport fait mention d’un accord préalable pour rendre effectif les conditions de l’avenant.
Donc, toutes les raisons de ce montage restent à valider.
Par exemple : A quel moment et par qui a été établi l’impérieuse nécessité d’améliorer la réponse à l’évolution du trafic du TPC et la sécurité ?
Dans aucun rapport d’activité annuel du délégataire cette urgence est soulevée.
Même si on prend en compte l’argument développé dans la délibération sur les fermetures partielles des barrières pour assurer une régulation de la circulation, la réalisation d’une bretelle Schloesing n’apporte rien, dans le sens Aubagne-TPC, puisqu’aucun accès n’est prévu dans ce sens entrant.
Et dans l’autre sens sortie du péage TPC vers les quartiers Sud, il existe déjà 2 sorties qui peuvent délester les encombrements : la trémie Louis Rège vers le Bd Périer et le TPS vers le rond-point du Prado, qu’il suffirait d’ouvrir en libre circulation en cas de besoins urgents. D’autant que la première partie de la bretelle Schloesing empruntera sur 360 mètres ce TPS.
Le rapport évoque enfin un « axe rouge » prioritaire pour les forces du maintien de l’ordre et pour les secours.
Où est l’avis de ces intervenants justifiant l’absolue nécessité d’une bretelle ?
J’en viens au montage financier.
Ce projet serait neutre financièrement, puisque tout l’investissement revient au privé.
C’est doublement faux.
D’une part, parce que la facture estimée de 99 M€, consiste d’abord à racheter pour 49,78 M€ les 360 mètres empruntant le Tunnel Prado Sud.
Autrement dit : les actionnaires majoritaires Vinci – Eiffage de la société du Tunnel Prado Carénage vont racheter pour 49M€ la partie du Tunnel Prado Sud aux actionnaires qui sont aussi Vinci et Eiffage !
Résultat : la collectivité, qui a déjà subventionné en 2013 la réalisation du TPS à hauteur de 34,38 M€ pour un coût total de 170M€ (valeur courante), va supporter une deuxième fois le financement du TPS en incluant les 49M€ dans la réalisation de la bretelle Schloesing contre 7ans et 11 mois de concession supplémentaire.
Et cela, sans que les conditions tarifaires et la durée de l’autre concession TPS soient réduites en conséquence.
Même avec une perte estimée à 6% des recettes du TPS payant par la concurrence de la bretelle gratuite, le concessionnaire TPS a toujours 47 années d’exploitation pour amortir et rentabiliser son investissement, qui lui ne sera pas réduit de 6% mais de 50% : de 170,2 M€ constatés en 2013 à 86,04 M€, une fois déduits les 34,38 M€ de subvention MPM et les 49,78 M€ de rachat pour la nouvelle concession.
Un véritable tour de passe-passe sur le dos de notre collectivité et des automobilistes pour qui les tarifs du péage vont rester inchangés !
D’autre part, notre assemblée métropolitaine doit savoir que la concession du Tunnel Prado Carénage prend fin en 2025. C’est-à-dire l’année de la deuxième phase de mise en œuvre de l’agenda de la mobilité.
Cette concession à péage est très rentable, au-dessus de 30% du chiffre d’affaire annuel :
Entre 10 M€ et 15 M€ de bénéfices nets an distribuables aux actionnaires. Somme à laquelle viendront s’ajouter 5M€ an à partir de 2021, quand la dette de l’emprunt initial sera éteinte.
Donc une ressource financière possible entre 15M€ et 20M€ par an, si la métropole reprend en direct l’exploitation.
On conviendra que cette manne serait bienvenue, au moment où la métropole cherche des financements pour réaliser son agenda. A mettre en rapport avec la capacité d’investissement pour améliorer les déplacements, qui est de 5OM€ pour 2018.
Chers Collègues, on ne peut pas à la fois poursuivre l’objectif de trouver de nouvelles sources de financements pour faire baisser sensiblement le tout automobile et adopter un projet qui fait économiquement et écologiquement le contraire, sans utilité avérée.
Marc POGGIALE